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La France doit-elle s’excuser auprès de l’Algérie pour la colonisation ?

On célébrait mercredi le 55ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Un jour de commémoration du conflit avec l’Empire français, et la naissance d’un pays des cendres de la guerre. Dans cet esprit, le Président Abdelaziz Bouteflika a demandé l’admission par la France des « crimes » commis par l’armée française sur les populations algériennes. ‘Notre Peuple exige une reconnaissance de ses souffrances par le colonisateur d’hier, la France », a-t-il dit dans un message relayé par l’APF.

La France doit se décider à regarder en arrière avec honte, ou ignorer les requêtes algériennes une fois de plus. Ce à quoi beaucoup répondent, la France a-t-elle jamais exigé de l’Italie qu’elle s’excuse pour la conquête de la Gaule par l’Empire romain ? La Norvège a-t-elle demandé pardon pour les invasions vikings ? On ne peut attendre des pays qu’ils se confondent sans arrêt en excuses au nom de leur passé trouble. Pourquoi l’Algérie recevrait-elle un traitement particulier ?

Peut-être parce que les hommes et les femmes victimes de sévices par les soldats français sont encore vivants pour en parler; parce que la diaspora algérienne en France ne cesse de grandir; parce que les Algériens parlent français, regardent la télévision française, et même s’ils ne l’admettront jamais, conservent une « certaine idée de la France ». Les liens entre la France et l’Algérie n’ont pas cessé le 5 Juillet 1962. Malgré les batailles sanglantes et le traumatisme d’un divorce, notre sort est plus que jamais lié aux leurs.

Certes, la liste des torts est longue, la lire à voix haute est une souffrance dans laquelle l’égo n’est pas épargné. Mais l’horreur de la vérité ne mérite-t-elle pas amplement cette gêne momentanée ? La douleur d’un coeur compatissant qui réalise le tort qu’il a causé ne devrait pas l’emporter sur le besoin de compenser la victime.

Quelle compensation ?

En l’état actuel des choses, la vengeance est impensable, et la justice est exclue. Les crimes coloniaux ne sont pas susceptibles de recours. Pour cela, ils ont besoin d’entrer une catégorie de crime international, comme les crimes de guerre ou le génocide. Le message de Bouteflika intervient quelques mois après qu’Emmanuel Macron, alors candidat à la course présidentielle, a décrit les exactions coloniales comme un « crime contre l’humanité ».

Le Statut de Rome condamne un certain nombre de pratiques en tant que crimes contre l’humanité, s’ils sont part à une pratique large ou systématique : le meurtre, l’esclavage, la déportation, l’emprisonnement abusif, la torture, l’abus sexuel, parmi d’autres. Depuis l’enfumage des grottes aux débuts de la conquête française, jusqu’au viol massif de femmes pendant l’insurrection nationaliste, tantôt pour les besoins de la torture, tantôt pour le défoulement des soldats de l’armée française, les crimes coloniaux sont aisément qualifiables de crimes contre l’humanité au regard du droit international.

C’eût été suffisant à ouvrir la boîte de Pandore, sinon pour le joker français : la fiction juridique. Pendant de longues années, les dirigeants français ont refusé toute responsabilité pour la Collaboration. Selon eux, le gouvernement sous occupation n’était pas légitime; et comme la République Française continuait à Londres avec De Gaulle, et non à Vichy, elle ne pouvait être tenue responsable. Il a fallu attendre 50 ans et le discours de Jacques Chirac au Vélodrome d’Hiver - le lieu de la tristement célèbre rafle qui a vu 13 152 juifs être arrêtés et déportés, dont un tiers d’enfants - pour enfin admettre la responsabilité de la France dans la duplicité de Vichy.

Aujourd’hui, la fiction est d’un autre genre : L’Algérie était française jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus. Ainsi, tout ce qui a eu lieu entre la colonisation et la fin de la guerre d’Algérie est couvert par la loi française, dont l’amnistie générale de 1966. La Cour de cassation a refusé sur cette base de juger les crimes coloniaux en Indochine (C. de Cass., 1991 Boudarel).

Mais il y a plus. Si l’amnistie devait un jour être levée, le Statut de Rome ne pourrait pas s’appliquer aux crimes commis avant 2002, date à laquelle il a reçu le nombre nécessaire de signatures pour entrer en vigueur. De plus, les crimes de guerre et contre l’humanité sont prescris après 30 ans. Trois verrous empêchent la boite noire de la colonisation algérienne de déverser ses secrets en procès.

Des excuses ?

La loi n’est pas une blague. Nous lui faisons confiance pour définir nos droits, et punir nos crimes. Mais parfois, la loi n’est pas à la hauteur, et c’est le moment pour la politique d’intervenir. A cet égard, et malgré la polémique qu’elle a engendrée, la déclaration de Macron n’était pas révolutionnaire. Le député Michel Rocard avait déjà comparé l’attitude de la France en Algérie à des crimes contre l’humanité en 1957, et Nicolas Sarkozy avait qualifié en 2007 le système colonial d’« injuste » et de « crime impardonnable ». Aucun d’eux n’a cependant poussé pour que des excuses soient faîtes à l’Algérie pour sa colonisation et son occupation pendant plus de 130 ans.

Emmanuel Macron semblait vouloir passer à la vitesse supérieure, afin de renforcer les échanges commerciaux entre l’Algérie et la France. Cependant, il ne va pas beaucoup plus loin que ses prédécesseurs. Sarkozy a reconnu la faute de la République vis-à-vis des harkis - combattants de l’armée française qui ont été laissés pour compte après la fin de la guerre -, mais a toujours nié sa responsabilité. Macron use du même tour de passe-passe quand il refuse la charge qui pèse sur tout criminel, collectif ou individuel : la culpabilité. Ses mots exacts sont « sans refouler » mais « sans repentance ». Mais est-il possible d’admettre une faute sans en admettre la responsabilité ? D’être coupable sans se sentir coupable ?

En droit, il peut arriver d’être un fautif non-responsable, pour cause de statut personnel telle que la minorité, ou la situation de handicap. Difficile de croire que cela s’applique à l’Etat français.

Il s’inquiète que les anciens habitants de l’Algérie française (les pieds-noirs) seront associés injustement à ces crimes. Eux qui ont souffert plus que tout autre Français de la perte de l’Algérie, exilés d’Algérie après l’indépendance, passant de classe dirigeante à celle d’intouchable, avec peu ou pas d’aide de la part du gouvernement français pour le retour en France.

Pour eux, Emmanuel Macron a refusé « la culpabilisation sur laquelle on ne peut rien construire ». Selon lui, l’admission des crimes est nécessaire, mais le remords est une base impropre à la construction d’un futur commun. Aussi a-t-il rapidement changé les mots controversés pour « crimes contre l’humain », dans un effort d’apaisement, et soucieux de ne pas s’aliéner la base électorale d’une droite intransigeante sur le sujet de la colonisation, et d’une extrême-droite encore plus hostile et en hausse dans les sondages.

Cela comptera comme un premier petit pas dans la bonne direction, mais il n’est pas à la hauteur de ce que l’Algérie demande, ni de ce qu’elle mérite.

Peut-être que la France a besoin de temps. La génération de la guerre devrait mourir avant qu’on en fasse davantage. Mais dans ce cas, quel intérêt aux excuses ? Elles seront obsolètes. Ceux qui n’ont jamais connu la guerre demanderont formellement pardon à ceux qui n’ont jamais vécu les crimes, au nom de leurs ancêtres respectifs. Et ceux qui auraient le plus bénéficié de ces amendes seront partis. Est-ce vraiment tout ce qu’on peut leur offrir ?

Encore faut-il que nos enfants réalisent qu’ils ont des raisons de s'excuser. On se souvient qu'en 2005 le Parlement français passa une loi, modifiée plus tard, imposant aux professeurs de raconter « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Avec cette présentation révisionniste de l’impact colonial, les nouvelles générations auraient été tellement occupées à se congratuler que des excuses leur seraient apparues hors de propos. Voilà jusqu’où les responsables français sont prêts à aller pour garder les cadavres de la colonisation au placard.

La fiction peut être utile. Celle de la continuité de l’Etat nous permet en tant que français de revendiquer notre passé glorieux, quand bien même nous n’y avons pas encore participé; elle devrait aussi nous obliger à la honte pour le passé injuste et criminel. Dans les deux cas, la fierté et la honte ne sont pas personnelles, mais collectives, et n’ont pas besoin de se poser précisément sur aucun citoyen français. Mais admettre les crimes coloniaux peut-il être autre chose qu’un coup de comm’, quand ils ne sont pas permis d’entacher l’image de la France ? Un pays qui se laisse salir ne devrait pas pouvoir mentionner la boue pour mieux garder les mains propres.

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