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Congrès de Versailles : premier faux pas d’Emmanuel Macron ?


Ce lundi 3 juillet, Emmanuel Macron s’adressera au Parlement réuni en Congrès au château de Versailles. Deux modalités de la réunion ont provoqué l’émoi : le lieu, Versailles, symbole de la monarchie absolue, de son faste et de ses abus. Et, la date du 3 juillet, soit la veille du discours de politique générale du premier ministre, devant l’Assemblée nationale.

Pour l’un ou pour l’autre, une poignée de députés et de sénateurs ont annoncé qu’ils boycotteraient le Congrès. Le Parti Communiste appelle à manifester demain à 14h à la mairie de Versailles. D’autres comme le socialiste Régis Juanico, ou Esther Benbassa, ne feront pas non plus le déplacement.

La sénatrice écologiste considère que les frais de cette réunion extraordinaire à Versailles doivent aller aux réfugiés de Calais. Selon Paris Match, la note devrait osciller entre 200 000 et 600 000 euros. Emmanuel Macron apprend à ses dépens qu’une majorité absolue ne suffit pas à contrôler un parlement.

Jupiter, dans la mythologie romaine le « roi des dieux », le Zeus hellénique, compte ainsi faire de Versailles, son Olympe, mont des divinités grecques. Le château, plus précisément l’Aile du Midi dans laquelle le Parlement se réunira demain, n’est pas neutre.

Alors que les commentateurs pointent sa posture « monarchique », le président Macron n’aurait pu choisir meilleure tribune pour satisfaire ce qualificatif. Selon Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à La Sorbonne, Emmanuel Macron cherche cependant à opérer une « resacralisation » de la fonction présidentielle, d’où son investissement des locaux versaillais à deux reprises en un mois et demi.

Emmanuel Macron reçoit Vladimir Poutine, chef de l’Etat russe, au château de Versailles, le 29 mai.

Mais, le « monarchisme », dénoncé à tort ou à raison par certains, n’est pas la seule critique de son exercice du pouvoir. « Conception régalienne de la fonction », concentration du pouvoir, « présidence impériale » (LR Guillaume Larrivé), « hyper-présidence » ou « présidence à l’américaine », une chose est sûre, les termes sont pléthore pour exprimer le mécontentement face à la prise en main pleine et entière par Emmanuel Macron des instruments constitutionnels.

Il mène ses équipes d’une main de fer, sa communication d’une main de maître. Le « président jupitérien » ose afficher son autoritarisme là où le « président normal » s’en cachait.

Cette décomplexion est le premier reproche qu’on lui aura fait dans les premières semaines de sa présidence, mais certainement pas le seul.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, le président peut en effet s’adresser au Parlement réuni en Congrès, ceci sans débat et sans vote. Or, la pratique, si elle est prévue par la Ve république, doit répondre à des circonstances extraordinaires.

Nicolas Sarkozy l’avait, ainsi, convoqué suite à la crise financière ; François Hollande, lui, après les attentats de Paris. Est-ce à dire qu’Emmanuel Macron juge sa seule victoire électorale comme fait suffisant à cette réunion du Parlement ?

Ambivalence constitutionnelle

De son côté, Christophe Castaner, secrétaire d’Etat, parle de renouer avec la « tradition ».

Paradoxal quand on voit comment Emmanuel Macron rompt avec les codes des présidences précédentes quand ils lui déplaisent. Pour preuve, son refus de la traditionnelle interview 14 juillet, prétextant une « pensée complexe ».

Il reconnaît que la parole du chef de l’Etat est un atout marketing, mais seulement quand elle s’accompagne d’un surcroît d’autorité. On gagne peu à s’exprimer le 14 juillet, mais l’éviter permet de s’épargner bien des questions délicates, notamment sur les écarts de son gouvernement. Rompre avec le symbolisme creux (et avec le courage de s’adresser directement aux Français du même coup), voilà ce que semble dire son positionnement.

Ainsi, plutôt qu’une fête nationale, il fait du 14 juillet une réunion internationale en invitant le président Trump à assister à la cérémonie. Une façon de transformer chaque événement présidentiel en tour de force et d’imposer la main mise de son pouvoir.

D’aucuns estiment, par ailleurs, que le président a grillé la priorité à son premier ministre. Demain, 4 juillet, Edouard Philippe devra annoncer sa politique générale à l’Assemblée. Ce bouleversement du calendrier institutionnel a provoqué de nombreuses critiques, dans l’opposition, côté France Insoumise mais aussi auprès des membres proches de la majorité présidentielle comme Christophe Lagarde et Philippe Vigier, députés UDI.

La décision qui obligera le premier ministre à limiter sa prise de parole aux mesures concrètes après que le cadre sera posé par le président à Versailles sonne comme un désaveu. Edouard Philippe en déplacement en Estonie, au moment de l’annonce du Congrès, s’était contenté de disqualifier la polémique en assurant que les deux discours seraient complémentaires.

Quid de l’article 20

Pourtant, la tenue de ce congrès est en décalage avec l’esprit de l’article 20 de la Constitution. Le texte prévoit que le premier ministre détermine et conduise la politique de la Nation.

Cet article vient d’un compromis entre les partisans d’un parlementarisme à l’anglaise, et ceux en faveur d’un pouvoir fort du chef de l’Etat. Si bien qu’aux premières heures de la Vème République, certains y voyaient une démocratie parlementaire comme une autre, dans laquelle le président ferait figure, à la fois de chef d’Etat et des armées, sans pouvoir mener la politique gouvernementale.

C’était sans compter sur la présidence gaullienne, et l’appui qu’elle avait dans l’article 9 qui lui conférait la présidence du conseil des ministres. L’élection du président au suffrage universel direct devait entériner la prééminence du président de la République sur le premier ministre. Pour autant, elle ne limitait pas le rôle de ce dernier à celui d’un porte-parole…

Depuis, le hiatus jamais résolu de la vraie place du premier ministre n’a fait que s’accentuer. Le meilleur exemple de cette ambiguïté sont les périodes de cohabitation. Elles obligèrent à de véritables compromis entre un premier ministre en charge de la majorité parlementaire et un président de la République isolé.

Mais ces pratiques ne valent que pour un mandat, voire pour un gouvernement, et chaque couple président-premier ministre redéfinit les termes de la collaboration. La position macroniste rappelle celle de Jacques Chirac, qui avait donné un rôle d’exécutant à son ministre de l’Economie de l’époque, Nicolas Sarkozy, avec la fameuse formule « je décide, il exécute».

« Je décide, il exécute », le retour par LeHuffPost

Il reste que le président n’a pas sa place à l’Assemblée nationale. Le rôle du premier ministre, quand il est de la même couleur politique ou presque que le chef de l’Etat, est précisément d’être son relais auprès du Parlement.

Le sénateur LR Philippe Bas a, d’ailleurs, pointé du doigt ce qu’il considère être une erreur politique du nouveau Président. Il « a besoin d’un premier ministre fort car c’est lui qui porte les réformes devant l’Assemblée nationale et le Sénat ».

En effet, si dans la société jupitérienne la séparation des pouvoirs n’est plus dans l’air du temps, on se rappelle que dans toute entreprise qui se respecte, le PDG doit apprendre à déléguer.

Certes, la pratique du pouvoir a fait de l’article 20 une disposition largement ignorée mais jusqu’ici toujours officiellement respectée. Depuis l’ère macronienne, il n’en est plus rien. Le présidentialisme assumé d’Emmanuel Macron fait de son premier ministre un secrétaire bonifié.

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