L’Algérie a-t-elle vaincu le terrorisme ?
(Source : Site du Ministère de la Défense Nationale)
Au lendemain de la tentative d’attentat-suicide dans un commissariat de Constantine, au Nord-Est de l’Algérie, le ministre de la Justice Tayeb Louh a déclaré hier que l’Algérie avait « vaincu le terrorisme grâce à la politique de la Réconciliation nationale ». Dans le même ton, le chef d’état-major Gaid Salah a salué les résultats de l’Armée Nationale Populaire (ANP) dans la lutte antiterroriste. Dix jours plus tôt, l’armée débusquait et éliminait 14 terroristes présumés dans la région d’El Adjiba et le Ministère de la Défense Nationale a annoncé ce matin en avoir neutralisé 9 autres dans la wilaya de Tizi Ouzou.
Ce paradoxe d’un pays à la fois vainqueur et en lutte intense contre le terrorisme s’explique par l’expérience particulière de l’Algérie avec les groupes armés.
Dans une vidéo publiée le 14 Juillet 2015, trois combattants de Daesh ont promis une « guerre longue » à l’Algérie, assurant qu’ils avaient le soutien de « (leurs) frères de Skikda et du Sahara ». Ils faisaient ici référence aux groupuscules terroristes présents essentiellement à l’Est et au Sud de l’Algérie depuis la fin des années 1990. L’une d’elles, l’organisation Jund Al-Khalifa (Soldats du califat), responsable de la mort d’Hervé Gourdel en 2014, a prêté allégeance à Daesh après sa scission de l’AQMI.
Mais malgré ces menaces, l’activité terroriste a comparativement peu d’impact dans la société algérienne depuis l'adoption par référendum de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en 2005, une loi de grâce qui a permis aux combattants de la « décennie noire » de réintégrer la vie civile sans crainte de poursuites judiciaires. Les attentats sont fréquemment déjoués, et le recrutement terroriste y est le plus faible du Maghreb. En décembre 2015, l’IRIN faisait état de 7 000 ressortissants tunisiens et jusqu’à 1 500 marocains dans les rangs de Daesh, pour seulement 200 algériens. L’Algérie possède pourtant des frontières avec la Libye et le Mali, deux territoires déstabilisés par la menace terroriste, ainsi qu’une histoire récente de chaos civil.
Un dispositif sécuritaire lourd
La gestion de la menace terroriste s’explique aussi par une grande efficacité des services de sécurité. Cette efficacité, elle la vaut tout d’abord à un budget militaire colossal, le premier d’Afrique : 1 118,3 milliards de dinars, soit plus de 9 millions d’euros, qui permettent un déploiement militaire très étendu. S’y ajoute une présence policière considérable, avec des effectifs supérieurs à ceux du Maroc et de la France réunis. Sans compter les autres dispositifs, comme les barrages avec fouille des véhicules de jour comme de nuit sur les grands axes routiers, et la vidéosurveillance en métropole.
Cet appareil démesuré donne cependant des résultats très concrets. Les chiffres officiels comptent 350 terroristes abattus ou arrêtés pendant l’année 2016, et déjà 22 terroristes neutralisés depuis Janvier 2017. De nombreuses armes ont été récupérées par l’armée au cours de ses opérations, notamment par un travail d’infiltration dans les maquis. Et le groupe Jund Al-Khalifa a été décimé par l’ANP moins de trois mois après le meurtre du guide de montagne français.
Une lutte plurielle
Toutefois, l’Algérie n’a pas misé tout son argent sur la carte sécuritaire. Le ministre des Affaires maghrébines et africaines et de la Ligue des Etats arabes, Abdelkader Messahel, a rappelé qu’il s’agit d’une « d’une approche globale qui consiste à lutter contre les facteurs potentiels de marginalisation (…) et qui se fonde sur une démarche inclusive aux plans politique, économique, social, culturel, cultuel ». Cette démarche se traduit en premier lieu par le rejet de l’approche ultra-répressive, en conformité avec l’esprit d’unité de la Charte de 2005. Comprendre, la meilleure façon de lutter contre le terrorisme est au contraire de prendre soin du climat social sur tous les fronts. Plusieurs actions décisives ont été menées en ce sens.
Parmi elles, la lutte contre le chômage par la mise en place d’un fonds de garantie destiné à favoriser l’emprunt des jeunes entrepreneurs. La mesure a connu un franc succès selon les chiffres de l’Agence Nationale de Soutien à l’Emploi des Jeunes (ANSEJ) : 367 980 microentreprises ont été créées dont seulement 10% ont connu une situation d’échec. L’initiative s'est néanmoins retrouvée au coeur de polémiques concernant son coût (358 milliards de dinars), mais aussi son détournement (environ 2000 poursuites judiciaires pour fraude), « un taux infime, comparé aux cas de réussite et à l’impact que ces microentreprises ont eu sur la création d’emploi » a déclaré Mourad Zemali, directeur de l’ANSEJ. Si M. Zemali refuse d’y voir une stratégie politique dont le but est d'échapper à un printemps algérien, il faut bien reconnaître que cette main tendue à la jeunesse algérienne a sans doute volé des voix aux recruteurs de Daesh comme aux révolutionnaires. Le journaliste Akram Kharief constate en effet que « l’âge moyen de ceux qui ont commis des crimes terroristes en Algérie dans les 10 dernières années est de 39 ans (…) Ce sont des gens qui sont issus de ce qui reste [des groupes radicaux], et non des nouvelles recrues ».
Sur le front religieux, le gouvernement a appuyé la création d’un syndicat national des imams en 2013, afin de protéger le malékisme, le courant majoritaire en Algérie, et former un « rempart aux idées religieuses importées ». Et la position d’imam requiert dorénavant une licence de l’université algérienne en théologie islamique, une mesure visant à mieux contrôler le contenu des prêches. Les « mourchidates » (assistantes religieuses) travaillent par ailleurs depuis les années 1990 à prévenir la radicalisation des jeunes par un enseignement éclairé de l’Islam.
Un exemple à suivre ?
En 2015, l’Algérie a organisé la Conférence internationale sur la lutte contre l’extrémisme et la dé-radicalisation qui a réuni une cinquantaine de pays et les représentants d’organisations internationales à Alger, une occasion de présenter au monde sa stratégie antiterroriste.
Elle a tenu l’année suivante un atelier international sur « la démocratie comme vecteur de déradicalisation », qui a amené Herman Okomba-Deparice, le directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence de Montréal, à venir s’informer sur la formation algérienne des imams. La maire de Paris Anne Hidalgo s’est aussi dite intéressée par l’expérience d’Alger dans la prévention de la radicalisation lors de sa visite officielle au début du mois de Février.
Il semble que le monde veuille apprendre de l’exemple algérien, et forte de ce succès, l’Algérie prend sa place de professeur. Il serait pourtant dangereux d’oublier qu’un des facteurs essentiels de la résistance algérienne au terrorisme religieux soit précisément le frais traumatisme de la « décennie noire ». L’échec des extrémismes est encore présent dans la conscience collective, et le pouvoir mise beaucoup sur la réticence du peuple à revivre l’expérience du passé.
Si la société algérienne n’a pas tout à fait vaincu la violence extrémiste, elle n’est en tout cas pas prête à la laisser gagner du terrain.