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François Fillon reste : l’échec de la responsabilité politique


(Source : Reuters - François et Pénélope Fillon le 29 Janvier 2017 à Paris.)

Le Canard Enchaîné a révélé en Janvier dernier le scandale autour du candidat Les Républicains et du poste d’assistante parlementaire de sa femme Pénélope. L’affaire a choqué l’opinion, notamment parce que la rhétorique filloniste durant la campagne des primaires se fondait sur l’honnêteté et l’intégrité de l’ex-premier ministre, une façon de se différencier de son adversaire d’alors, Nicolas Sarkozy.

Les révélations font à la fois état d'un détournement de fonds publics, à hauteur d'environ 1 million d’euros, et de népotisme - d’abord en faveur de sa femme, puis plus tard en faveur des enfants Fillon.

La nouvelle a fait ravage au sein du camp républicain, causant de nombreux soutiens à se retirer de la campagne, y compris son représentant aux affaires européennes et internationales Bruno Le Maire et le directeur de campagne Patrick Stefanini. Malgré ça, M. Fillon a indiqué qu’il entend continuer sa campagne présidentielle et « ne cédera pas ».

Le scandale n’a pas seulement chahuté la course à la présidentielle, permettant à l’ancien ministre de l’économie Emmanuel Macron de prendre la deuxième place dans les sondages derrière Marine Le Pen pour le premier tour, mais il a aussi révélé la relation ambiguë que les Français entretiennent avec la corruption.

Un « coup d’état institutionnel »

Les journaux danois étaient étonnés d’apprendre que le candidat de la droite pouvait rester aussi longtemps en course malgré l’enquête en cours dans les finances de sa famille et sur ses anciennes responsabilités de sénateur, avec tout ce que cela implique de perquisitions à son domicile, de fouilles au Parlement et d’interrogations par la police. Au lieu de quitter le navire, le candidat à la présidentielle a blâmé la presse pour sa prétendue misogynie, les magistrats pour leur intervention politicienne, et appelé leurs actions un « coup d’état institutionnel ». Ses prises de parole et celles de ses soutiens à droite ont dénoncé les révélations de la presse et l’intervention du Parquet National Financier comme les pratiques d’une vendetta. Bien que peu de lecteurs y voient une justification à la corruption, ils portent volontiers un oeil critique à la sur-publicité de certaines affaires par rapport à d’autres.

Mollis lex sed lex

Si cette défense peut marcher, c’est aussi parce que le citoyen ordinaire a un rapport douteux aux fonds publics. D’une façon ou d’une autre, tout le monde plonge la main dans la caisse. Loin du principe romain dura lex sed lex, l’approche française à la loi peut être résumée ainsi : l’enfreindre souvent est mal, mais ne l’enfreindre jamais est juste stupide. Si vous trafiquez un peu votre feuille d’impôt, si votre femme de ménage travaille au noir, ou si vous oubliez d’acheter un ticket de métro n’est pas dramatique, tant que vous ne faîtes pas tout ça à la fois. Dans l’idéal, ce que vous volez doit être en proportion de ce que vous contribuez; par chance, vous êtes seul responsable de ce calcul. Frédéric Bastiat appelle cela le « pillage réciproque », un cercle vicieux dans lequel chacun tente de récupérer son dû. Le principe est encore plus vrai du népotisme, où les seuls à ne pas le pratiquer sont ceux qui ne le peuvent pas.

L’étendue de la petite escroquerie dans la société française rend plus difficile de concentrer le blâme sur une personne, même quand cette personne est un politicien aisé dont la campagne a brandi son intégrité comme étendard. Le sous-entendu de son maintien dans la course a été le provocateur « Pourquoi moi ? ». Pourquoi Fillon devrait-il payer quand c’est le système entier qui est en cause ? L’impossibilité pour les citoyens de penser avec persuasion « Je ne ferais jamais ça » est une tactique efficace pour mettre le doute sur la responsabilité de l’ancien premier ministre, si tant est qu’il n’est pas condamné par la justice - ce qui pourrait prendre un certain temps.

Une autre raison pour laquelle la crise médiatique n’a pas reçu de réponse politique claire est que Fillon est le premier candidat de la droite à être désigné par des primaires. Sa disgrâce n’est plus la seule responsabilité du parti mais celle d’un candidat élu « démocratiquement ». Comme sa place dans la course a été quelque peu légitimé par le suffrage universel, il n’a pas besoin de se justifier auprès des Républicains, mais plutôt directement à ses électeurs. Et l’ayant remporté haut-la-main contre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, François Fillon peut considérer que ses électeurs sont assez derrière lui pour le soutenir dans cette épreuve. Il peut également essayer de gonfler le nombre de ses soutiens, comme il l’a fait des participants au rassemblement pro-Fillon il y a deux semaines.

« Le roi ne peut mal faire »

On peut encore mentionner le culte monarchique payé aux présidents français et ce que cela implique pour leur responsabilité politique. Certains arguent que la force de la fonction présidentielle est le résultat d’un deuil inachevé du monarque après la Révolution. L’immunité présidentielle, même si loin d’être un cas d’exception, serait une des nombreuses traductions de la figure royale dans la France républicaine.

En tant que rois ou rois en puissance, l’immunité dont les politiques bénéficient pendant leur mandat peut affecter la censure collective de leurs actes avant et après celui-ci. En d’autres termes, ce que les présidents en fonction ont d’immunité légale, les futurs présidents auraient en impunité politique.

La presse et la justice sous les projecteurs

Quel qu’il en soit, la persévérance filloniste dans la course montre un mépris de la transparence comme valeur démocratique fondamentale, et un déni du rôle de la presse dans la réalisation de cette valeur. Le journalisme d’investigation a en effet reçu de sévères critiques pour avoir révélé et commenté l’affaire PenelopeGate, peut- être davantage que François Fillon lui-même. Ce tournant contre les journalistes est récent mais il est le fruit d’un propos de longue durée, dans lequel des journaux comme Mediapart et Le Canard Enchaîné sont désormais accusés d’avoir un agenda politique. Les magistrats sont aussi fréquemment remis en question, les avocats de Fillon ayant même essayé de déclarer le Parquet National Financier incompétent à enquêter sur des parlementaires.

Tout porte à croire que la prochaine division idéologique en sortira plus grande, séparant les électeurs non plus seulement sur des programmes politiques mais sur le rôle que les institutions vitales pour la démocratie que sont la presse et le pouvoir judiciaire doivent jouer.

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