Edito
Les mesures qui visent d’une façon ou d’une autre à renforcer les frontières seront toujours une menace pour les binationaux. Quand elles visent explicitement une nationalité, elles sont une violation des droits de l’Homme.
Le décret anti-immigration de Donald Trump signé vendredi dernier refuse l’accès au territoire américain aux ressortissants de sept pays majoritairement musulmans. Sept pays, sept nationalités, sont concernés par le décret désormais largement connu en tant que "Muslim Ban" : l’Irak, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen.
Aperçue au rassemblement à Downing Street contre le refus de Theresa May de condamner le décret, une pancarte disait : "I'm an Iraqi-English. I mentioned the English so you wouldn't get scared." Malheureusement pour cet anglo-iraquien, le décret Trump s’adresse aussi aux binationaux ressortissants des pays interdits d'entrée de territoire. Car cette discrimination, quoiqu'ouvertement religieuse, est officiellement une discrimination entre nationalités.
Cela signifie que nos compatriotes binationaux, des Français, des Européens, virtuellement tout le monde est touché par la mesure du 27 Janvier.
Certains pays ont déjà agi en urgence pour protéger leurs nationaux. Le Royaume-Uni a donné dès dimanche des assurances que ses binationaux devraient être épargnés par l’application du décret. Boris Johnson a déclaré que seuls les britanniques voyageant depuis l’un des sept Etats listés seront concernés par la mesure; ceux voyageant au départ du Royaume-Uni ou d'autres Etats ne seront pas expulsés à l'arrivée.
Le Canada a aussi fait des démarches pour immuniser ses binationaux. #UnCanadienEstUnCanadien twittait le Premier ministre Justin Trudeau il y a quelques jours. Son gouvernement se veut protecteur de ses nationaux, même lorsqu’ils sont attaqués par et pour leurs autres nationalités. Le passeport canadien a désormais cette force de prévenir la discrimination de ses propres citoyens.
L’Allemagne et les Pays-Bas ont demandé dans une déclaration commune un éclaircissement de la décision du Président des Etats-Unis, et de ses conséquences pour leurs binationaux.
Mais la France n'a encore obtenu aucune garantie concernant ses binationaux. Le Ministre des Affaires Etrangères Jean-Marc Ayrault a exprimé son regret que le décret aille à l’encontre du devoir de solidarité envers les réfugiés, mais n’a rien dit sur le cas des binationaux français. C'est à se demander si nos droits sont un objet d’intérêt pour nos dirigeants.
Il est cependant difficile de juger la marge de manoeuvre que ces gouvernements ont vraiment face à la mesure. L’ambassade américaine à Londres a contredit lundi matin les déclarations du Ministre des Affaires Etrangères britannique et affirmé que les anglais ressortissants des pays listés se verraient refuser un visa.
Les réactions au "Muslim Ban" ont fort heureusement été nombreuses. Des manifestations sont organisées dans les aéroports américains et dans les grandes villes, New York, Washington, Londres. Un juge fédéral a déjà suspendu l'application du décret pour les personnes actuellement arrivées sur le sol américain avec un visa valide. Le maire de Londres a déclaré que l’invitation du Président des Etats-Unis devait être annulée aussi longtemps que le décret serait en place, soutenant ainsi la pétition contre sa visite officielle prévue pour cette année, qui a déjà obtenu un million de signatures.
C’est dans ce contexte que Le Binational. voit le jour. Il n’a jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui, et il ne le sera sans doute pas moins demain. Puisque nous sommes doublement concernés, soyons doublement vigilants.
"Un peu d'internationalisme éloigne de la patrie;
beaucoup d'internationalisme y ramène".
Jean Jaurès