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Les primaires : avancée démocratique ou imitation parasite ?

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Sondage Ifop-Fiducial, 3 Février 2017

A en croire les sondages, le Front National mène confortablement la danse de cette campagne électorale, suivi un peu plus loin par Emmanuel Macron. Deux partis, et deux candidats, qui ne sont pas passés par l’avanie de la primaire. Pendant que François Fillon et Alain Juppé se taillaient en pièce en Novembre dernier, que Benoît Hamon et Manuel Valls cherchaient à rassembler la gauche en se déchirant, Marine Le Pen, elle, s’adressait déjà à toute la France. On peut regretter qu’elle ait eu cette longueur d’avance, et se demander qui a eu l’idée folle d’un jour inventer les primaires.

Les primaires made in France, c’est d’abord un vocabulaire particulier : on parle de « primaire ouverte de la droite et du centre », quand bien même le centre ne fait son apparition que dans le titre. En face, on nous donne des « primaires citoyennes » pour les acteurs de la Belle Alliance Populaire - difficile de faire mieux - où l’on retrouve deux candidats des Verts un peu perdus dans une compétition qui veut brasser du monde coûte que coûte. Cette confusion est inévitable quand on importe un mécanisme américain dans une société française aux institutions inadaptées.

Une pratique américaine

Dans les 115 démocraties du monde, seulement 29 Etats pratiquent l’élection primaire, dont 11 européens, comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce, le Royaume-Uni et la France. Mais malgré l’avancée de la primaire en Europe, les partis politiques en Allemagne, comme en Suisse, en Autriche et dans les pays scandinaves ont gardé la main-mise sur la nomination de leur candidat. La plupart des pays d’Amérique latine s’adonnent aux primaires, et bien évidemment, les Etats-Unis. La pratique est née là-bas, au début du XXème siècle, et c’est là aussi qu’elle a atteint le plus haut niveau de sophistication. Son coût, sa durée et son importance sont inégalés de ce côté de l’Atlantique, et ses modalités font l’objet d’un encadrement par les institutions américaines, la Cour Suprême des Etats n’hésitant pas à intervenir quand la procédure contrevient à des principes comme la liberté d’association, notamment en ce qui concerne le degré d’ouverture de la primaire.

Cette intégration dans la vie politique américaine n’est pas une surprise. Elle est le fruit de longues années de pratique, mais surtout elle repose sur un système bipartisan dans lequel les débats se font au sein des deux partis d’alternance. Dans notre système multi-partisan où la compétition doit avoir lieu entre les partis, les primaires ne s’intègrent pas ou s’intègrent mal. Cela explique comment les candidats à l’élection présidentielle française qui retiennent les intentions de vote en ce moment ont pu faire sans elles. Personnalité « anti-système », pour arriver au pouvoir Donald Trump se fait tout de même élire au sein du camp républicain. La chose étant impossible en France, Marine Le Pen à la place accroît la force d’un mouvement situé à la marge du spectre partisan.

En d’autres termes, ce n’est pas parce que l’américain raffole du beurre de cacahuète qu'il faut en faire notre Nutella.

Une force pour les uns, une faiblesse pour les autres

Pourtant, la primaire a bel et bien fait son entrée en France en 2011 avec l’issue que l’on connaît, la nomination de François Hollande en tant que candidat de la gauche. Aujourd’hui, les revers de cette primaire se font encore sentir. Conçue pour purger les dissensions et les rallier autour d’un même corps, elle a au contraire abruti les consciences par la violence d’un résultat électoral, pour mieux qu’elles se réveillent en plein mandat. Les « frondeurs » sont le produit de ces divergences ignorées, et la primaire vient ainsi affaiblir la fonction présidentielle au lieu d’être le fondement de son autorité.

La logique d’opposition est suffisamment ancrée dans la vie politique américaine pour qu’un ralliement au candidat vainqueur s’opère non seulement stratégiquement, mais naturellement. A l’inverse, les parlementaires socialistes n’hésitent pas pour leur part à présenter un texte sur leur « droit de retrait » après la victoire de Benoît Hamon. Si bien que ce qui pour le régime présidentiel américain est une force est une faiblesse pour le régime hybride français.

Non seulement elle faillit, mais la primaire a déjà des effets sur notre rythme politique. En plus d’alourdir une période électorale déjà chargée par les élections présidentielle et législatives, elle raccourcit le mandat présidentiel, poussant le président sortant à se positionner plus tôt, des ministres et le premier ministre lui-même à quitter le gouvernement pour participer à la primaire, faisant du quinquennat français un quadriennat à l’américaine. Sans parler du climat vicié que ce combat d’égos laisse forcément derrière lui.

Un aveu de faiblesse

Mais alors quel est le sens de cette ruée vers l’isoloir ? Pourquoi soumettre le choix des candidats au vote populaire, quand le citoyen est déjà peu enthousiasmé par les élections classiques ? Argument d’autorité s’il en est, on veut nous faire croire que la primaire est une avancée pour la démocratie. Tout au contraire, elle est un aveu de faiblesse de nos familles politiques, en quête de légitimité malgré leur incapacité à convenir d’une direction commune.

Pendant ce temps-là en Allemagne, les partis sont chargés de la Meinungsbildung, c’est-à-dire qu’ils concourent à la formation de la volonté politique du peuple. En permettant l’irruption de l’élection dans cette formation, la primaire délivre la droite et la gauche françaises de leurs responsabilités, à savoir l’exercice du compromis dans la sélection du leadership - somme toute, ce qu’on appelle la politique. Leur travail de décision est réduit à un travail de proposition. Et elles ne s’embarrassent pas même d’une cohérence dans cette proposition; le nombre de candidats au premier tour est à la limite de l’indécence.

Enfin, à ce désengagement des partis fait écho une responsabilisation des citoyens. Le parti peut naturellement faire porter le chapeau à l’électeur au cas où le candidat choisi échouerait à l’élection, la vraie. La critique qui peut leur être attribuée après-coup n’est dorénavant réservée qu’au candidat lui-même, que l’on accusera d’avoir été trop ou pas assez tranché, trop ou pas assez de gauche, mais le parti en tant qu’organe de décision ne sera plus remis en cause. Exemple-type, le PénélopeGate, qui aurait pu donné une simple remise en question de la confiance donnée aux partis, est un premier échec démocratique, avant même le début de la période électorale.

Ce qui autrefois était l’affaire des partis est donc à présent tranché par une frange de l’électorat, elle-même guidée par les médias. Car ce sont bien les médias qui héritent des fonctions délaissées par les familles politiques. Ils doivent articuler l’expression des différentes visions du monde, par opposition au système précédent où P.S. et U.M.P. avaient à créer l’adhésion des citoyens au candidat qu’ils désignaient. Les journalistes peinent à décortiquer les programmes, pendant que les partis regardent le match depuis le banc.

Tout ça ne fait que contribuer à une personnalisation, déjà élevée, des débats électoraux. Alors que voter pour une personne signifie d’abord voter pour une ligne politique, la fiction que cette personne n’est qu’un corps prêt à recevoir ce projet s’estompe, voire disparaît en l’absence d’un parti collectivement réuni autour d’elle. Dans un système multi-partisan, cette union se fait au sein du parti, ou elle ne se fait pas. Et dans le second cas, la personne du candidat ne vient plus simplement donner un corps, mais vient constituer à elle seule cette direction politique.

L’élection primaire déresponsabilise les partis, ces moteurs censés capturer les opinions et leur donner forme, déstabilise la fonction présidentielle, qui n’est déjà pas au mieux de sa forme, et désoriente les électeurs. Il faut croire que copier les américains ne soit pas la meilleure idée qu’on ait eue.

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